XII
LA PUISSANCE ET LA GLOIRE

Les semaines qui suivirent la capture du Loyal Chieftain et de sa goélette furent pour Bolitho d’une désespérante vacuité. Le commodore Hoblyn ne fut pas remplacé. L’Amirauté se contenta de détacher un obscur fonctionnaire pour superviser l’achat des navires convenables et dresser la liste des candidats susceptibles de recevoir des lettres de marque en cas de conflit.

La demeure où le commodore s’était donné la mort resta fermée, témoin muet de son deuil et de sa déchéance. Bolitho avait de moins en moins à faire. Il laissait ses cotres patrouiller sans lui et prêter main-forte à l’occasion aux navires de la douane qui continuaient à lutter contre la contrebande.

Ses escouades de recruteurs et de racoleurs obtenaient des succès variables, peu à même de le réconforter ; en revanche, on s’étonna en haut lieu d’un afflux d’engagés volontaires pour la flotte, notamment en provenance des villages de l’intérieur, où sa victoire sur les navires de Délavai fut connue de tous avant même qu’il ne les eût visités.

La nouvelle de l’assassinat des Françaises s’était répandue comme un feu de brousse et de nouveaux renseignements, émanant de sources concordantes, prouvèrent qu’il ne s’agissait pas d’incidents isolés ; après le premier bain de sang dans les rues de Paris, les émeutiers s’étaient tournés vers les classes moyennes, puis vers les humbles : artisans et boutiquiers. Quiconque était soupçonné de trahir la révolution était considéré comme un laquais des aristocrates haïs, traîné en prison pour d’impitoyables interrogatoires ; puis des charrettes les conduisaient jusqu’à la guillotine. Des parents avaient vendu tous leurs biens pour tenter de sauver leurs enfants ; d’autres avaient versé d’énormes pots-de-vin pour tâcher de gagner l’Angleterre, et la sécurité, à bord de petits navires. Certains contrebandiers, comme Délavai, avaient ainsi bâti rapidement d’énormes fortunes : ils dépouillaient ces pauvres réfugiés sans défense et les passaient par-dessus bord en pleine Manche, ou dans la mer du Nord. Les cadavres ne parlent pas. S’il se trouvait des jeunes filles dans ces cargaisons humaines, elles ne pouvaient attendre aucune pitié.

Un soir, alors qu’il soupait avec le major Craven dans sa petite caserne, Bolitho s’était emporté :

— La lie de l’humanité ! Quiconque se bat pour un pavillon, quelle que soit la cause qu’il défend, a davantage d’honneur et de respect de soi.

Bientôt, il fut même privé du réconfort que lui apportait la présence du major : on expédia Craven et son régiment en Irlande, où la famine, à l’approche de l’hiver, privait la population de nourriture et de chauffage, et recommençait à produire des troubles.

Et l’hiver était précoce, cette année. Bolitho était frappé par la violence des courants de marée, et la brutalité du clapot déferlant en Manche.

Le régiment de Craven fut remplacé par de nouvelles recrues et des soldats issus de milices à peine formées, qui se souciaient davantage d’exercice et de manœuvre que de lutte concertée contre les contrebandiers. Cependant, la contrebande avait diminué depuis l’affaire du Loyal Chieftain ; par endroits, elle avait même disparu. Ce résultat aurait dû être pour Bolitho un motif de satisfaction, tandis qu’il arpentait le rivage en compagnie d’Allday, l’inséparable compagnon, mais le cœur n’y était plus.

Pas de nouvelles de l’énigmatique lord Marcuard : une déception de plus, la pire. Peut-être après tout s’agissait-il d’une nouvelle ruse pour l’obliger à se tenir tranquille. Il en venait à se demander si l’éloignement de Craven ne participait pas d’un vaste complot contre lui-mais comment le prouver ? Même les officiers et les fonctionnaires qu’il était forcé de rencontrer agissaient envers lui, quand bien même il ne s’agissait que de routine, avec une circonspection qu’il ne savait comment interpréter. Respect ? Crainte ? Impossible de le savoir.

Certains le considéraient simplement comme un grand chef de guerre, d’autres comme un perturbateur qui avait tout mis sens dessus dessous, apportant des changements brutaux, peut-être nécessaires mais malvenus.

Après leur conversation à Douvres, le contre-amiral Drew ne s’était pas attardé. Au moment du départ, il avait eu l’air profondément soulagé, et plus décidé encore, s’il était possible, à ne se mêler sous aucun prétexte à toute affaire dépassant les strictes compétences de l’Amirauté. Dans les ordres écrits laissés par Drew, il était explicitement spécifié que nul ne devait intervenir sans autorisation préalable, de quelque façon que ce fût, sur les domaines et propriétés de sir James Tanner.

De toute façon, cela n’eût pas servi à grand-chose : le bruit courait que Tanner était absent, peut-être même à l’étranger. Mais Bolitho ne pouvait se défendre de penser que ces ordres, transmis par Drew, émanaient de Marcuard ; ce simple fait semblait à peine concevable à présent.

Un soir, Bolitho regardait d’une falaise une frégate descendre vers Sheerness avec le courant de marée. La lumière grisâtre mettait en valeur la splendeur de ses peintures ; les sculptures dorées de son château et de sa voûte disaient les moyens considérables dont disposait l’armateur. A Bolitho, cette frégate rappelait l’Undine et le Tempest, tels qu’ils étaient quand il en avait pris le commandement après la guerre d’indépendance américaine.

Il observa les gabiers échelonnés le long des vergues comme de petits points noirs, et qui larguaient les huniers du beau vaisseau. Beau comme une frégate ! Quel honneur de commander pareil navire ! Il se souvenait de la flamme qui s’allumait dans les yeux de Viola quand elle l’écoutait parler de ses bateaux. Personne, depuis, ne l’avait écouté de cette façon.

— Jolie baille, Commandant, pour sûr.

Bolitho esquissa un sourire. Allday déployait d’innombrables ruses pour l’empêcher de broyer des idées noires ou d’évoquer les souvenirs qui font mal.

Le vieux compagnon aurait pu se faire tuer. Il en conçut une douleur poignante comme un coup de dague. Cette mort l’aurait livré à la solitude.

Bolitho baissa son chapeau de façon à cacher sa cicatrice. Il se tourna vers Allday. Plus d’une fois, Viola avait touché et embrassé sa balafre, affirmant que c’était là un motif de fierté et d’honneur, non pas une marque honteuse.

— Je me demande s’il y a à bord certains des volontaires que nous avons engagés, après leur avoir laissé le libre choix…

— Du moment que leur commandant sait les prendre, observa Allday avec un pauvre sourire !

Bolitho remonta le col de son caban. La frégate tirait un bord au large et ce spectacle le déchirait. Quelle était la destination du navire ? Gibraltar et la Méditerranée ? Les Antilles, où les palmes offrent leur ombre aux plages de sable blanc ? Il poussa un profond soupir. Comme le jeune lieutenant qui avait exprimé le désir de s’embarquer avec lui sur n’importe quel navire, comme feu le commodore Hoblyn il n’y avait pas si longtemps, il se sentait abandonné, rejeté.

Il enfonça ses talons dans le sable mou. Non ! Pas comme Hoblyn !

— Et tu n’as jamais rencontré l’homme qui était dans la voiture ce soir-là ? Celui qui t’a donné ordre de tuer le racoleur ?

Allday n’était pas fâché de la question : elle trahissait chez Bolitho un regain d’intérêt pour sa cause.

— Je n’ai rien vu de lui ce soir-là, ce qui s’appelle rien. Mais sa voix, je la reconnaîtrais même aux portes de l’enfer, par le diable ! Mélodieuse comme de la soie, un vrai sifflement de serpent ! S’il m’arrive de l’entendre à nouveau, poursuivit-il en hochant la tête avec ferveur, je frapperai le premier et demanderai des explications après. Pour sûr !

Bolitho jeta un dernier coup d’œil à la frégate, dont le bord sous le vent s’enfonçait déjà dans l’obscurité. « Demain, si le vent tient, elle sera devant Falmouth. » Il pensa à sa grande maison qui l’attendait. Comme toujours. Sa famille s’était réduite. Sa sœur Nancy vivait non loin de là avec son époux, le « roi de Cornouailles ». Quant à son autre sœur, Felicity, elle était encore aux Indes, avec le régiment de chasseurs à pied de son mari. Comment vivait-elle, aujourd’hui ? Dans leur église de Falmouth, de nombreuses petites plaques et ex-voto commémoraient la mort de femmes et d’enfants de marins, tombés lors de révoltes indigènes dans des endroits dont nul n’avait entendu parler.

Les plaques des Bolitho remplissaient une chapelle dans le déambulatoire de la vieille église. Chacune évoquait un épisode de l’histoire de la marine royale. D’abord, il y avait l’ancêtre de la famille, le trisaïeul de son grand-père, le commandant Julius Bolitho, mort en 1646 pendant la guerre civile ; c’était à lui que lord Marcuard avait fait allusion, à ce héros qui avait tenté de forcer le siège du château de Pendennis par les « Têtes Rondes ». Et puis il y avait son arrière-grand-père, le commandant David Bolitho, abattu par des pirates, au large des côtes africaines, en 1724.

Sous son caban, les doigts de Bolitho se refermèrent sur la garde de la vieille épée. C’était son ancêtre David qui avait fait forger l’arme ; elle était maintenant bien ternie, mais Bolitho ne connaissait pas de lame plus légère ni mieux équilibrée. Il doutait que les couteliers contemporains fussent capables d’en produire d’aussi fine. Il s’avança à pas lents en direction du couchant. Soudain la tristesse l’envahit : une fois son propre nom ajouté à cette liste, plus jamais un Bolitho ne serait attendu dans cette vieille maison, sous le promontoire, à l’ombre du château.

— Voilà un cavalier qui m’a l’air d’avoir le diable aux trousses, annonça Allday dont le regard se fit aigu.

Il porta la main à la garde de son sabre d’abordage. Toute descente à terre le rendait inquiet et méfiant. A bord d’un navire, on pouvait compter ses amis…

— Par le ciel ! s’exclama-t-il. C’est le jeune Matthew !

L’enfant arrêta brutalement, sa monture et sauta à terre avec légèreté :

— Qu’est-ce, mon garçon ? demanda Bolitho.

L’adolescent fourragea un instant dans les fontes de sa selle :

— Une lettre, Monsieur. Elle nous est parvenue par courrier exprès.

De toute évidence, il était impressionné :

— Il m’a bien recommandé de vous la remettre en main propre, à vous seulement.

Bolitho ouvrit le pli et tenta de déchiffrer la missive mais le crépuscule était trop avancé ; il remarqua simplement les armoiries de l’en-tête et la signature griffue en bas de page : Marcuard. Ainsi il avait eu tort de laisser courir son imagination. Il n’y avait pas de complot en coulisses pour se débarrasser discrètement de ses services. Les deux autres le regardaient. Le cheval lui-même avançait sa tête au-dessus de l’épaule du jeune Matthew, comme s’il voulait lire lui aussi.

Bolitho n’avait pu déchiffrer que trois mots : Toutes voiles dehors.

Par la suite, il se rappela n’avoir éprouvé à cet instant ni inquiétude ni surprise, mais au contraire un grand soulagement. Enfin, l’heure était venue. Enfin on avait besoin de lui.

 

Le second du Wakeful, un grand jeune homme dégingandé, passa à tâtons au milieu du groupe des marins immobiles et finit par identifier Queely, debout à côté du compas :

— J’ai fait le tour du navire, Commandant, dit-il à mi-voix. Conformément à vos ordres, tous les feux sont éteints.

Il jeta un coup d’œil au-delà du pavois, dans l’obscurité épaisse sur laquelle tranchait de temps à autre la blancheur d’un mouton. Il ajouta :

— Et je ne vous demande pas quand nous allons virer de bord pour tirer au large !

Queely ne se donna pas le mal de lui répondre. Il observa d’abord la grand-voile à un ris, puis la petite lumière vacillante du feu de compas.

Le froid mordait. Quand les nappes d’embruns fouettaient le pont, on sentait que l’hiver était là.

— Transmettez mes respects au commandant Bolitho. Veuillez lui faire savoir que nous avons atteint le point de rendez-vous.

— Inutile. Je suis là.

L’ombre de Bolitho se détacha du petit groupe pour s’approcher de Queely. Il était en caban, tête nue. Seuls ses yeux étaient visibles dans le noir.

Il serait bientôt deux heures du matin : le quart de nuit était à moitié écoulé. Ils étaient désormais aussi près de la côte hollandaise que la prudence le permettait. Queely se tourna vers les autres et déclara sans cérémonie :

— Ce rendez-vous est organisé en dépit du bon sens, Monsieur.

Bolitho le regarda, surpris. Depuis l’instant où il s’était transféré à bord du cotre de Queely et lui avait donné ordre de faire route vers cette rencontre secrète, le jeune lieutenant si bien frotté de littérature n’avait pas soulevé la moindre objection. Pendant la traversée d’une mer du Nord mauvaise en direction d’un point anonyme sur la carte, il avait gardé pour lui tous ses doutes et toutes ses appréhensions. Bolitho lui en était reconnaissant ; ni Queely ni lui-même n’avaient de moyen pour évaluer avec précision la gravité du danger vers lequel ils s’avançaient, il ne tenait donc pas à être harcelé par de sinistres prémonitions. Paice avait tenté de le dissuader, mais le Télémaque était encore en cale sèche pour finir la rénovation de son gréement et remplacer le mât de hune abattu. Il revoyait encore la physionomie énergique de Paice tout de suite après la capture du Loyal Chieftain :

— Nous n’avons pas perdu un seul homme, Monsieur, et le Wakeful non plus !

Étrange : personne d’autre, pas même Drew, ne lui avait posé de question sur ce sujet. Il eut un sourire sombre en se remémorant l’anxiété du contre-amiral. Doublement étrange de sa part. Voilà les mots appropriés.

Dans les récits des journaux, après une bataille décisive ou une catastrophe maritime majeure, on citait parfois le nom d’un officier supérieur ou d’un commandant, mais le coût des fortunes de mer en vies humaines ne retenait que rarement l’attention des chroniqueurs.

— Nous n’avons pas le choix, monsieur Queely, répliqua-t-il.

Bolitho devinait quelles pensées agitaient son subordonné. Ces renseignements avaient mis des semaines avant de parvenir à lord Marcuard, qui avait eu besoin de plus de temps encore pour les étudier et les vérifier. Dans l’intervalle, tout avait pu se produire. La Hollande n’avait pas encore conclu d’alliance militaire, mais c’était un jeu d’enfant pour les espions français de pénétrer les cercles de conspirateurs les plus fermés.

— Je resterai à terre quatre jours. Tenez-vous hors de vue des côtes jusqu’au moment exact que je vous ai fixé. Ainsi on ne vous posera pas de questions quant aux raisons de votre présence, et à vos intentions.

Un avantage secondaire de cette décision : l’équipage du Wakeful serait dans l’incapacité de rien révéler sur leur mission, intentionnellement ou pas. Mais il se garda de le préciser : Queely n’était pas un sot, il comprendrait.

Il insista néanmoins :

— Laissez-moi au moins vous accompagner jusqu’à terre, Monsieur.

— Impossible. Cela doublerait la durée de votre escale. Il vous faut être derrière l’horizon avant l’aube. Si le vent recule ou tombe…

Il était inutile d’en dire davantage. A la faible lueur de la lampe du compas, Queely consulta sa montre :

— Nous n’allons pas tarder à être fixés.

Puis, cherchant son second des yeux :

— Monsieur Kempthorne ! Silence sur le pont !

Il décrocha son porte-voix et le portant à son oreille, balaya lentement l’horizon pour capter le moindre bruit insolite.

Bolitho était réconforté par la présence d’Allday à ses côtés. Une fois de plus, son patron d’embarcation était prêt à risquer sa vie pour lui. Cela le rendait heureux. Allday grogna :

— Ils ont peut-être changé d’avis, Commandant.

Bolitho approuva de la tête et essaya de se remémorer tous les détails de la carte, ainsi que les notes consultées pendant leur traversée depuis le Kent.

La Hollande n’était guère vaste, les endroits isolés propices à un débarquement clandestin étaient peu nombreux. Ils avaient choisi une basse péninsule humide, qui n’était pas sans présenter quelque ressemblance avec les marécages et fens du sud-est de l’Angleterre. Tôt ou tard, le génie hollandais stabiliserait la côte et ces terres seraient mises en culture ; ces gens ont l’art d’utiliser chaque pouce de terrain disponible, car leurs ressources naturelles sont maigres. Mais si les Français arrivaient…

Bolitho sursauta : un rayon de lumière aveuglant balayait les eaux agitées, crevant la nuit comme le feu d’une balise.

— Dieu du ciel ! jura Queely. Pourquoi ne pas tirer une salve de bienvenue, tant qu’ils y sont !

Ce cri d’humeur prouvait qu’il n’était pas aussi calme qu’il en avait l’air.

— Lofez d’un quart ! Parés devant ? On ne va quand même pas les éperonner !

Dans un souffle, il ajouta :

— Pointe cette couleuvrine, Rabbit ! Si c’est un piège, ils vont avoir une mauvaise surprise.

L’autre bateau semblait avoir surgi des profondeurs ; ils durent s’y reprendre à plusieurs fois pour échanger des boulines et s’amarrer à couple. Bolitho redoutait le bruit d’une collision, tout en se disant que le choc ne s’entendrait pas à plus de quelques mètres. Il distinguait des silhouettes emmitouflées dans de lourds vêtements de mer, qui montaient et descendaient au rythme des vagues. On distinguait un mât trapu et une voile sommairement carguée. Surtout, le vent leur amenait une forte odeur de poisson.

Un petit objet fut remis à un matelot et vivement transmis à Bolitho à l’arrière ; c’était la moitié d’un vieux bouton en os. Bolitho tira de sa poche l’autre moitié : elle s’ajustait parfaitement. Il se demanda un instant ce qui se serait passé si le matelot l’avait laissé tomber dans la mer : la confiance l’aurait-elle emporté sur la méfiance ? Cette méthode de reconnaissance était rustique, mais éprouvée. Plus simple et moins dangereuse qu’un message écrit.

— A vous le soin, monsieur Queely, lança Bolitho.

Il lui étreignit le bras :

— Vous savez ce que vous avez à faire si…

— A vos ordres, Monsieur. Si…

Et il s’écarta. Bolitho et son compagnon descendirent comme ils purent l’échelle de coupée et se retrouvèrent dans le petit bateau de pêche. De rudes poignes les guidèrent pour leur éviter de trébucher sur les casiers à crustacés, les récipients divers, les avirons et ce qui était sans aucun doute des entrailles de poissons. On largua les cargues, l’écoute fut bordée et le vent prit brusquement dans la voile avec un choc sourd. Le bateau bondit dans une gerbe d’embruns.

Quand Bolitho se retourna, le Wakeful avait disparu ; on ne distinguait même plus les vagues brisant contre sa muraille.

Allday s’assit sur un banc de nage et murmura :

— Plus jamais je ne dirai du mal d’un navire du roi !

Bolitho observa leurs nouveaux compagnons. Nul n’avait dit mot.

Pas une phrase de bienvenue, chacun savait ce qu’il avait à faire. Les paroles de Marcuard lui revinrent : « Redoublez de prudence. » Bolitho écarquilla les yeux pour essayer d’apercevoir le rivage. Il savait que nul n’aurait besoin de lui rappeler ce sage conseil.

 

Le voyage jusqu’au point de rendez-vous suivant dura plus longtemps que prévu. Allday et lui-même furent transbordés dans une autre embarcation, si exiguë qu’ils durent pour prendre place se recroqueviller sous le pontage avant.

D’après leur dernière position estimée sur la carte, et ce qu’il avait retenu de ses ordres écrits, Bolitho savait qu’ils avaient doublé l’île de Walcheren avant le transbordement. Ensuite, ils avaient embouqué l’Escaut oriental et changé d’embarcation en quelques instants, après un très bref échange de salutations. Ils parcouraient à présent un inextricable lacis de bras de mer et de canaux ; l’équipage ne faisait rien pour faciliter à Bolitho l’observation de leurs points de passage. Le paysage était plat, désolé, marqué çà et là par la silhouette altière d’un énorme moulin à vent dont les ailes puissantes brassaient le ciel. On rencontrait de nombreuses embarcations, mais aucun uniforme ne révélait une présence militaire ou navale.

En fin de journée, l’embarcation finit par se frayer un passage au milieu des roseaux ; sans le glissement soyeux de l’eau sur les flancs de la carène, ils auraient pu se croire en voiture. Il faisait trop noir pour prendre des points de repère ; seules quelques étoiles apparaissaient brièvement entre les nuages. Le vent avait légèrement changé, mais pas assez pour mettre le Wakeful en situation délicate.

Allday passa la tête au-dessus du plat-bord et tendit l’oreille au grincement régulier d’un moulin ; une puissante odeur lui frappa les narines :

— Des cochons, annonça-t-il sans enthousiasme. Sommes-nous arrivés, Commandant ?

Des voix leurs parvinrent. Deux hommes arrivaient à pied : le rivage était donc tout proche. Un des arrivants était l’armateur du bateau, un Hollandais à tête ronde portant un bandeau sur l’œil. Son compagnon marchait avec précaution entre les roseaux humides, un petit mouchoir sur le nez.

Debout sur la rive, ce dernier les regarda et lança :

— Euh… Commandant Bolitho ? Vous êtes parfaitement ponctuel.

Un anglais irréprochable, mais où Bolitho reconnut un soupçon d’accent français.

Bolitho débarqua et faillit glisser dans le canal. Il étira ses muscles engourdis, puis demanda :

— A qui ai-je l’honneur ?

L’homme secoua la tête :

— Pas de noms, Commandant. C’est plus prudent.

Il haussa les épaules comme pour s’excuser :

— A présent, je vais être contraint de vous bander les yeux, à vous et à votre…

Il estima longuement les formes imposantes d’Allday.

— …à votre camarade.

Il remarqua que cette suggestion les mettait immédiatement sur leurs gardes :

— Vous pourriez apercevoir des choses sans importance à vos yeux, mais susceptibles de tous nous mettre en péril.

— Fort bien, acquiesça Bolitho.

Son interlocuteur était inquiet : probablement un aristocrate, et à l’évidence tout sauf un soldat. Un militaire d’expérience les aurait fait aveugler plusieurs heures plus tôt. De toute façon, Bolitho était certain de pouvoir retrouver sa route sans difficulté, le cas échéant. Quand on a grandi dans le comté de Cornouailles, puis servi des années à bord de petites embarcations, on en conserve des traces.

Ils s’éloignèrent en pataugeant dans les roseaux, puis à travers champs ; bientôt, ils commencèrent à entendre un second moulin. Bolitho savait qu’un membre de l’équipage de l’embarcation les suivait. Tout était calme, sauf le bruit du vent ; l’air coupait comme du verglas.

L’homme, qui avait saisi Bolitho par le coude, murmurait de temps à autre des indications sur les obstacles à franchir. Bolitho sentit qu’ils approchaient d’un grand bâtiment, mais ce n’était pas un moulin.

— Vous allez rencontrer, lui souffla son guide, le vice-amiral Louis Brennier.

Il sentit bien que l’attention de Bolitho était à son comble :

— Le connaissez-vous ?

Bolitho ne répondit pas directement à la question :

— Pas de question, M’sieu*. N’est-ce pas vous qui en avez décidé ainsi ?

L’homme hésita un instant, puis répondit :

— J’agis suivant son désir. Sa vie n’a pour lui aucun prix, il l’a déjà sacrifiée à sa grande cause.

Il avait l’air de répéter une leçon apprise par cœur. Ils se remirent en marche. Le vice-amiral Louis Brennier s’était fait remarquer par ses qualités d’officier pendant la guerre d’indépendance américaine ; c’était lui qui avait eu la haute main sur les mouvements des corsaires français puis, plus tard, sur les navires de guerre qui soutenaient les rebelles. Il était simple passager à bord du Ville-de-Paris, vaisseau amiral de De Grasse en route pour la Jamaïque quand ils avaient été surpris par la flotte de l’amiral Rodney au large des Saintes. Un carnage effroyable. Une défaite totale. Tous les navires français avaient été détruits ou capturés. Conformément à l’ordre des choses, le Ville-de-Paris s’était affronté directement au Formidable, vaisseau amiral de Rodney.

Bolitho songea que, pour un homme d’action, Brennier n’avait pas eu de chance de participer à cette bataille en qualité de simple passager. Les Français ayant l’intention de débarquer à la Jamaïque et de s’emparer de l’île, le poste de gouverneur de ce nouveau territoire aurait dû échoir à Brennier. La bataille des Saintes, par cette belle journée d’avril, avait changé tout cela et bouleversé la vie de beaucoup, y compris celle de gens au destin ordinaire, comme Stockdale, par exemple, tombé sans un mot, ou Ferguson, qui était resté manchot. La liste n’avait pas de fin. Quant à Bolitho, il avait bien cru voir sombrer son navire, la Phalarope. Le bateau n’était resté à flot qu’à force de pompes jusqu’à leur arrivée, in extremis, à l’arsenal d’Antigua.

On déverrouillait une porte. Bolitho sentit la chaleur sur son visage. Quand on lui enleva son bandeau, il découvrit une vaste pièce aux murs de pierre. C’était bien sûr une ferme, mais nulle trace des propriétaires.

Il s’inclina en apercevant en face de lui un homme âgé, de l’autre côté d’une table bien astiquée.

— Amiral Brennier ?

Bolitho s’était certes attendu à le trouver vieilli, mais il fut frappé par une telle décrépitude. Le vieil officier avait une chevelure toute blanche, la peau ridée et les yeux à demi cachés par des paupières tombantes. Fixant le visiteur, il approuva d’un signe de tête :

— Et vous, vous êtes le commandant Bolitho ?

Son anglais n’était pas aussi courant que celui de son collaborateur :

— J’ai connu votre père.

Un sourire las multiplia les rides sur son visage :

— Ou plutôt, j’ai entendu parler de lui. C’était aux Indes.

Bolitho fut pris de court :

— Je ne savais pas cela, M’sieu.

— Si jeunesse savait, Commandant… Si vieillesse pouvait…

Il tendit ses mains décharnées vers le feu et continua :

— Le roi est vivant. Mais les choses empirent dans notre Paris bien-aimé.

Bolitho garda le silence. Était-ce à Brennier que l’on avait confié le soin de remettre sur son trône le roi de France ? L’officier de marine s’était distingué par sa bravoure : c’était un adversaire de valeur, qui avait la confiance aussi bien de son roi que de tous ses subordonnés. Mais c’était aussi un vieillard à l’esprit tout encombré par les malheurs qui ravageaient son pays.

— Que suis-je censé faire, M’sieu ? demanda Bolitho.

— Faire ?

Brennier semblait peu désireux de reprendre contact avec la réalité :

— Notre intention, et notre devoir sacré, est d’obtenir la libération du roi, quel qu’en soit le prix !

Sa voix prenait de l’assurance ; Bolitho crut voir resurgir l’ardeur du jeune officier.

— Ici, aux Pays-Bas, nous avons amassé une fortune. En joyaux, en or…

Il baissa le front dans sa main :

— La rançon d’un roi, comme disent les Anglais.

Il n’y avait nulle trace de gaieté dans sa voix.

— Le trésor est en sûreté non loin d’ici. Sans tarder, il sortira de sa cachette et nous le mettrons au travail.

— Et d’où viennent toutes ces richesses, M’sieu ? demanda doucement Bolitho.

— De ces innombrables familles décimées par la guillotine. Et tant d’autres qui n’attendent que le retour à une vie civilisée, cultivée.

Il leva la tête, ses yeux étincelaient :

— Ce trésor de guerre nous servira à libérer le roi par la corruption, par la force si nécessaire, ainsi qu’à fomenter une contre-révolution. Dans le sud de la France, on ne compte plus les officiers loyalistes. Quand nous passerons à l’action, le monde en aura le souffle coupé. Nous traiterons cette vermine comme elle nous a traités.

Le vieillard s’apaisa.

— Nous reprendrons cette conversation quand certains de mes amis seront là.

Il fit un geste vers une autre porte :

— Entrez là, Commandant. Il faut que vous vous présentiez à votre compatriote, l’autre agent provocateur*.

Son aide de camp apparut, puis le guida vers l’escalier. Avant de monter, le vieillard se retourna et lança d’une voix ferme :

— Vive la France ! Longue vie au roi !

L’aide de camp répondit par un bref haussement d’épaules. S’adressant sèchement à Allday, il dit :

— Reste ici. On t’enverra du vin et de quoi manger.

— Petit prétentieux, grogna Allday. C’est des gens comme lui qui ont perdu la France, si vous voulez mon avis, Commandant.

Bolitho lui toucha le bras :

— Du calme, vieux frère. Nous avons encore beaucoup à apprendre. Fais ce qu’on te dit et ouvre l’œil.

Il n’avait pas besoin de rien ajouter. Il s’avança vers la porte et pénétra dans une pièce plus confortable. La porte se referma derrière lui. Un homme qui se réchauffait devant la cheminée quitta pour l’accueillir un fauteuil à haut dossier :

— Bolitho ? J’espère que votre voyage s’est bien passé.

Bolitho avait déjà rencontré deux fois cet homme. Ils ne s’étaient jamais adressé la parole mais il n’y avait pas de doute. Ils avaient à peu près le même âge. Cet air de distinction suffisante et cette bouche cruelle avaient frappé Bolitho lorsque les deux hommes s’étaient croisés sur la route de Rochester, puis quand il avait revu ce visage à Douvres, à certaine fenêtre de voiture.

Bolitho se sentit envahi par un calme glacial. Sa main glissa jusqu’à la poignée de son épée :

— Sir James Tanner !

Et il ajouta aussitôt :

— Un individu tel que vous ! Ici !

Tanner accusa momentanément le coup, mais se ressaisit sans tarder.

— Je suis ici sur la demande de lord Marcuard. S’il ne tenait qu’à moi…

— Dès que ma mission sera terminée, le coupa Bolitho, je m’emploierai à vous faire traîner en justice.

Tanner lui tourna le dos :

— Laissez-moi vous dire une chose, mon cher, avant que votre insolence imbécile ne nous mette tous deux en danger. Sachez que rien ne me ferait plus plaisir que de vous jeter tout de suite mon gant à la figure.

Bolitho regarda les épaules carrées de son interlocuteur :

— Si vous croyez me faire peur avec une menace de duel, vous vous trompez lourdement, Monsieur.

Tanner se tourna de nouveau vers lui :

— Comme votre vie est propre et simple, Bolitho ! Tout se passe entre le gaillard et la dunette, sans même un passavant pour les séparer. Le commandant est maître après Dieu, et voilà tout !

Son débit s’accéléra :

— Vous est-il jamais arrivé de risquer un regard en dehors de votre petit monde ? Vous ne tarderiez pas à vous apercevoir que, pour survivre, on est parfois contraint de fréquenter toutes sortes de gens…

Il sembla se détendre. D’un geste, il les désignait tous deux :

— … y compris des gens à première vue infréquentables.

— Le seul fait de respirer le même air que vous me donne la nausée.

Tanner le toisa quelques instants, pensif :

— Vous n’arriverez jamais à réunir des preuves contre moi.

Jamais ! Même si vous disposiez de dix mille ans ! D’autres s’y sont risqués avant vous.

Soudain, il devint raisonnable :

— Vous-même, sans aller chercher plus loin, quand vous êtes revenu de la guerre d’indépendance américaine, vous avez trouvé votre domaine familial démembré : on l’avait vendu pour rembourser les dettes de votre frère. Est-ce que je me trompe ?

Jusque-là, le ton était suave ; il se fit insistant :

— Vous vous êtes bien battu, et vous avez touché votre récompense.

Bolitho avait toutes les peines du monde à garder son calme. A chaque tournant de sa vie, il lui fallait buter sur la disgrâce de Hugh, cause de la honte et du déshonneur qui avaient tué leur père.

— Mon père à moi, insista Tanner, a presque tout perdu. Ses dettes, le croiriez-vous ? se chiffraient en millions. Je me suis attelé à la besogne, et j’ai tout récupéré.

— En mettant sur pied un réseau de contrebande comme l’Angleterre n’en avait jamais vu !

— Des calomnies. Et quand bien même ce serait vrai, Bolitho, il ne se trouvera pas un témoin, pas un seul, pour monter à la barre et déposer sous serment.

Il se pencha au-dessus d’un fauteuil et tapotant le bras de cuir :

— Vous vous figurez peut-être que je me suis porté volontaire pour cette mission saugrenue ! Autant construire un bonhomme de neige dans une chaudière !

— Pourquoi êtes-vous là ?

— Parce que je suis le seul à qui lord Marcuard fasse confiance pour mettre ce plan à exécution. Grâce à qui êtes-vous parvenu jusqu’ici sans encombre, à votre avis ? Vous avez traversé la moitié du pays sans connaître un mot de sa langue ! Les pêcheurs sont à mon service, figurez-vous. Ce sont aussi des contrebandiers ? La belle affaire ! Si vous êtes sain et sauf, c’est à moi que vous le devez : j’ai tout prévu dans le détail, jusqu’à l’endroit exact de votre débarquement.

— Et Délavai ?

La question laissa Tanner rêveur quelques instants.

— Lui aussi a travaillé pour moi. Mais il avait des idées grandioses. Il s’est révélé de plus en plus indocile. Vous avez vu où ça l’a mené…

— Jusqu’au bout, il a cru à son acquittement.

— Eh oui ! C’était un vantard et un menteur. Je n’aime guère ce mélange.

— Et c’est tout ? insista Bolitho.

— Pas vraiment. Lord Marcuard devait parvenir à ses fins. Voyez-vous, Bolitho, il y a dans ce monde des choses fort compliquées. Du jour au lendemain, Marcuard pourrait se retourner contre moi : tous mes domaines, tous mes biens seraient saisis. Et si vous avez la sottise de croire que je pourrais refaire ma vie ailleurs, détrompez-vous : on n’échappe pas à Marcuard. Tout au moins pas ici-bas.

Face à face, ils se dévisageaient. Tanner avait le souffle court, l’œil aux aguets ; il était trop intelligent pour trahir le sentiment de triomphe qui l’habitait.

Bolitho avait de la peine à se remettre de sa surprise. Ainsi c’était lui qui avait tout organisé.

— Il va nous falloir travailler ensemble, continua Tanner, conciliant. On ne nous a pas demandé notre avis, ni à vous, ni à moi. En fait, j’aurais voulu vous recevoir moi-même, avant ce vieux monsieur, mais il a élevé des objections.

Pour la première fois, Bolitho était du même avis que son interlocuteur :

— Je vous aurais tué sur place.

— Tout au moins auriez-vous essayé. Ne croyez pas que cela soit si facile. Décidément, vous êtes grands amateurs de duel, dans la famille !

Il écarta les bras dans un geste d’impuissance :

— Quel avantage en tireriez-vous ? Allez faire un scandale auprès des douanes hollandaises, ils vous riront au nez. Qu’un espion français découvre nos projets, et cela entraînera un bain de sang. De surcroît, le trésor tombera aux mains du gouvernement révolutionnaire.

De nouveau, il scandait son discours en frappant le bras du fauteuil :

— Avec ça, ils armeront des navires que vous et vos marins devrez affronter !

Soudain, il sembla se lasser :

— Je vais me retirer, maintenant. M’sieu ne manquera pas de vous entretenir longuement sur ce sujet, ainsi que sur la gloire passée de la France.

Et il conclut du même ton suave :

— Ne perdez pas de temps : mes hommes ont autre chose à faire qu’à vous attendre.

Il sortit par une porte dérobée. On entendit des chevaux prendre le galop sur le chemin.

Bolitho quitta la pièce et se trouva nez à nez avec Allday qui, en dépit de son hâle, montrait un teint de déterré :

— Qu’y a-t-il ? Allons, parle !

— Cet homme avec qui vous parliez… répondit Allday en regardant la porte. Sa voix, je la connais. C’est lui ! De ma vie, je ne l’oublierai pas.

Les yeux d’Allday brillaient à l’évocation de ces souvenirs. Oui, sir James Tanner était bien le mystérieux inconnu qui, de sa voiture, avait donné ordre à Allday d’exécuter le marin racoleur.

Bolitho lui toucha le bras et dit :

— Il ne sait pas que nous savons. Tant mieux.

Il plongea les yeux au-dehors, dans l’obscurité :

— S’il savait, il se débrouillerait pour que nous laissions la vie dans cette mission.

— Mais que s’est-il passé, Commandant ?

Bolitho regarda vers le haut de l’escalier, plusieurs personnes descendaient. La gloire passée de la France…

— On s’est joué de moi… dit-il doucement.

Il étreignit le bras de son ami : cette fois, c’était Allday qui avait besoin de lui.

— … mais je n’ai pas dit mon dernier mot.

 

Toutes voiles dehors
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